Pourquoi (re)penser la performance des destinations touristiques ?
La performance des entreprises est principalement basée sur des données chiffrées et des données financières : CA, marge, retombée. Les territoires sont logés à la même enseigne. C’est d’ailleurs le point d’achoppement des élus et techniciens, lorsque l’on pose la question qui fâche. Combien le tourisme génère-t-il de retombées économiques sur le territoire ? Pire : combien l’OT génère-t-il de retombées économiques sur le territoire ? La performance des territoires touristiques est largement basée sur sa fréquentation. Elle repose sur des chiffres qui ne sont pas mis en perspective avec le réel potentiel du territoire (ses atouts « présentiels », sa capacité de développement, ses ressources naturelles).
Pour exemple, quelques indicateurs existants :
- nombre de visiteurs
- classement dans le « top des destination »
- % masse salariale dans le budget
- CA commercial
- marge commerciale
- …
Ces indicateurs sont utiles au fonctionnement de la structure seulement s’ils reposent sur une stratégie définie. Ils sont aussi utiles pour se comparer. À condition que la comparaison cherche à comprendre quelles ressources sont mises au panier et quels produits en ressortent. Vides et sans comparaison, ils ont peu de sens. À quoi sert de connaître le % de masse salariale si je n’ai pas une vision des écarts de salaires au sein de la structure ? À quoi sert le CA commercial si je ne le mets pas en perspective avec les retombées pour les prestataires locaux ?
C’est l’objectif de la méthodologie « inputs » / « outputs » proposée dans pilOT, l’outil proposé par ADN Tourisme, à partir de l’indice de touristicité.
> Et si la grande innovation était de repenser la performance touristique ?
Ne faut-il pas repenser la notion de performance touristique pour montrer l’exemple et éviter l’effondrement ? Un article de Guillaume Cromer sur le blog etourisme.info.
Lire l'articlePerformance = performance éco-responsable ?
Et si nous changions de modèle de performance ? Et si, pour juger de la performance d’une destination touristique, nous jugions plutôt sa capacité à adopter un modèle durable ? Si, pour juger de la performance d’un office de tourisme, nous jugions plutôt sa capacité à fédérer un réseau d’acteurs et à générer un impact environnemental positif ?
Le tourisme est une activité présentielle dépendante des ressources du territoire, en grande partie de ressources naturelles. La performance des entreprises touristiques n’a donc de sens sur le long terme que si elle est éco-responsable.
Ce modèle est à inventer. D’abord, de nombreuses pistes existent déjà. Des-structures se basent sur l’engagement des partenaires et sur les achats responsables pour orienter leur actions. D’autres ont pour unique moteur la qualité de vie au travail. Repenser la performance de son organisation, c’est donc aussi repenser ou clarifier sa stratégie et son modèle de management.
D’autre part, Hugues Bazin, chercheur indépendant en sciences sociales et animateur du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action, nous explique que « l’outil devient culture à partir du moment où l’on a plus le choix ». C’est le cas pour le numérique : d’outil, il est devenu propre à la culture de chaque organisation. C’est aussi le cas de l’éco-responsabilité. Les chiffres et les faits sur l’état de la planète nous montrent que l’on a plus le choix. L’éco-responsabilité doit devenir une nouvelle culture de territoire, et d’entreprise. Comme pour le numérique, cela nécessite des choix et un changement de modèle. Une fois la durabilité ancrée dans la culture du territoire, et de ses entreprises, c’est naturellement que les actions sont orientées « durabilité ».
Quelles thématiques observer ?
Deux échelles d’indicateurs sont observables :
- la structure
- le territoire.
Nous avons ensemble défini que l’un sans l’autre n’a pas de sens. Un office de tourisme engagé seul dans la performance éco-responsable n’aura pas d’impact à l’échelle du territoire. C’est en tout cas par sa propre échelle que tout commence #çacommenceparmoi.
Les critères durables peuvent être intégrés à nos outils d’évaluation. Ils peuvent aussi les remplacer totalement. Surtout, ils doivent guider la stratégie. Par durable, nous entendons capable de s’adapter. Nous pensons aussi éco-responsabilité. Nous incluons le sens au travail pour les salariés. Ainsi, la performance est observée de manière collective plutôt que par le biais d’objectifs individuels. C’est le préalable d’une organisation agile et durable, qui peut se baser sur les 17 défis de l’ONU pour un développement durable. En quoi une destination est-elle attractive ? Comment peut-on dire qu’elle est performante ?
Essai d’indicateurs éco-responsables
- Mobilités
- à travailler – des idées ?
- Vie locale et dynamisme économique
- qualité de l’emploi local (répartition CSP, type de contrat CDD/CDI)
- CA commercial de l’OT reversé aux acteurs locaux
- Gestion des flux / Capacité de charge
- taux de fonction touristique (capacité d’accueil en lits touristiques / nombre d’habitants)
- part des résidences secondaires (% dans l’habitat global)
- capacité d’accueil d’un site (nb de visiteurs que le site est capable d’accueillir sans être durablement modifié)
- Bien-être au travail
- égalité homme / femme (salaires, responsabilités,…)
- équité dans le télétravail
- diminution du taux d’absentéisme et arrêts maladie (%)
- satisfaction salarié (3 items = environnement de travail, interactions, missions)
- évaluation de la santé au travail et des risques psycho-sociaux
- management participatif
- Achats
- achats éco-responsables (% écolabel, bio ou local)
- Déchets
- réduction du plastique (% ; aller vers le zéro plastique à échéance raisonnable)
- production de déchets (kg déchets produits)
- Énergie
- diminution de la consommation d’énergie (en % ; idée : reverser le delta aux salariés)
- bilan carbone global destination (émission GES)
- Engagement des acteurs locaux
- actions écoresponsables menées avec les prestataires (nombre)
- prestataires engagés dans une action éco-responsable de l’OT (mesure de l’engagement de la communauté)
- acteurs locaux mis en avant pour leurs démarches (nombre)
- lits écolabellisés (pourcentage)
Quelques illustrations
- l’augmentation des nuitées sur son territoire,
- le nombre de partenaires engagés dans une démarche durable (écolabel, bio, qualité ou charte),
- les achats, qui passent tous par le filtre : label, local, propre (zéro plastique), responsables (y compris les outils numériques).
L’office de tourisme de Saint Émilion calcule les économies d’énergie. Le « petit + » : il reverse ensuite l’économie générée aux salarié(e)s. À l’écosystème Darwin, à Bordeaux, le bilan carbone est intégré à la page d’accueil du site. Les médias sont les premiers à utiliser les données touristiques. Mis en forme, ces indicateurs sont précieux pour aider à la décision des élus. L’écodestination coordonnée par le PNR des Landes de Gascogne incite ses partenaires à définir ces indicateurs.
Les manageuses de l’Entract ont défini leur baromètre QVT. Des indicateurs qualitatifs en interne pour prendre le pouls du climat social et balayer les sujets d’équipe, du recrutement au salaire, en passant par le management.
Alors, partants ?
Les actions prioritaires proposées au NADOT étaient de deux ordres :
- Proposer une nouvelle mesure de la performance éco-responsable
- Intégrer cette réflexion au travail en cours autour de pilOT
L’engagement se poursuit au sein de groupes de travail pour le choix de ces indicateurs, l’utilisation et la diffusion aux destinations touristiques.
En bref, on l’aura compris, tout commence par le sens donné à l’action. Proposer à son équipe une batterie d’indicateurs à collecter et à analyser sera probablement contre-productif pour l’engagement. Mais pour engager l’équipe, il faudra probablement définir des objectifs collectifs et être en capacité de les évaluer sur plusieurs années.
On peut aussi tenter le coup de poker. Et si on validait un budget annuel à hauteur de x % ou de x € dédié au virage durable ? Ce budget serait utilisable par n’importe quel membre de l’équipe selon « ce qu’il lui semble juste de faire ». Il est validé par le collectif (en réunion d’équipe ou via un outil comme Loomio). À la fin de l’année, on fait un bilan selon un seul indicateur : l’impact et le niveau de satisfaction des cibles.
« Le grand défi, ici, est de lâcher notre belle illusion de contrôle, l’illusion réconfortante que nous maitrisons les choses, l’illusion que nous avons fait notre travail de dirigeants : nous avons fait toutes les analyses, nous avons le plan d’action, les choses se déroulent comme prévu, nous avons la situation en main. Il est beaucoup plus exigeant et beaucoup plus effrayant d’être au clair sur la mission et de rester consciemment présent à chaque instant ».
Interview de Brian Robertson, Holacracy (Reinventing Organization de Frédéric Laloux).
> En savoir plus sur pilOT
PILOT, développé par ADN Tourisme avec les Relais Territoriaux, dont la MONA en Nouvelle-Aquitaine, a permis de travailler sur l’évolution du pilotage des offices de tourisme, notamment sur l’indice de touristicité, pour se comparer entre structures et destinations comparable. La performance durable sera un sujet des années à venir.
Lire l'articleAllons voir ailleurs !
Que se passe-t-il dans les autres secteurs ? Quelques initiatives tentent de réfléchir autrement, sans pour autant inventer de nouveaux modèles.
- Baromètre collectivités : la Fonction Publique a lancé en 2018 un baromètre pour les directeurs de collectivité. Il prend la forme d’un espace d’échange et de remise en question, plutôt qu’une simple grille de classement. Affaire à suivre…
- Santé au travail : encore du côté de la Fonction Publique, accompagnée par la MGEN et l’ANACT, une plateforme sur la santé au travail. Elle permet aux DGS, DRH et à tous les acteurs concernés de mieux identifier les chantiers à ouvrir en interne sur la qualité de vie au travail.
- Qualité de vie au travail & performance : le réseau ANACT-ARACT, pour l’amélioration des conditions de travail, accompagne les entreprises, publiques et privées, vers la considération des enjeux humains pour une meilleure performance des entreprises. On vous accompagne à la Mona !
- Impact local : les offices de tourisme de Nouvelle-Aquitaine ont travaillé sur la compréhension de leur écosystème local : comment mieux connaitre son environnement pour augmenter son impact ? Et si, la performance durable, c’était des smileys verts sur tous les acteurs de son écosystème ?
- La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est un concept existant depuis plus de 20 ans. Il consiste en une prise en compte par les entreprise des enjeux , sociaux et éthiques dans leurs activités. La démarche est volontaire et peut se matérialiser par un label ou une norme. Le réseau RSE réfléchit au lien RSE / rentabilité.
- Outils : ISO 14001, EMAS (eco-management and audit scheme), label Lucie
- Démarches : Green Globe pour les collectivités https://greenglobe.com/
- Label Enterprise éco dynamique : https://environnement.brussels/thematiques/transition-de-leconomie/le-label-entreprise-ecodynamique
- Lire le chapitre co-écrit par Caroline Leroy et Laurent Botti sur la performance environnementale des OGD dans l’ouvrage collectif dédié au management des OGD.
Allons plus loin…
54. Les offices de tourisme s’engagent pour un tourisme durable