Limiter les flux touristiques : une solution durable ?

Nous traversons un siècle où occuper son temps libre est devenu primordial. Or, un beau voyage n’est-il pas le meilleur moyen d’occuper ses vacances ? C’est vrai, non ? Qui ne rêve pas d’aller visiter le Machu Picchu, la Cité Vénitienne ou encore partir sur les traces de Games of Thrones à Dubrovnik ? Limiter les flux touristiques, un article de Laura Barbe, rédigé en février 2019, dans le cadre de son travail de veille pour le Master 1 AGEST, de l’Université Bordeaux Montaigne.

Tourisme de masse : quand la limitation devient nécessaire

Aujourd’hui, voyager n’est plus une activité aussi prestigieuse. Elle n’est plus réservée à une élite et que nous ne pouvons que contempler de loin avec envie. C’est devenu une réelle activité économique. Elle est l’un des secteurs avec la plus forte croissance mondiale, représentant 10.2% du PIB global. Avec un emploi sur dix, il s’agit également d’un des plus gros pourvoyeurs d’emplois au monde. Cette puissance économique atteinte par le tourisme est rendue possible par la massification des flux touristiques. Cette massification, elle, s’explique par le fait que nous, touristes, ayons l’envie irrésistible de voir, connaitre et découvrir les merveilles du monde.

Néanmoins… ne serions-nous pas trop nombreux à vouloir découvrir le monde ?

La généralisation des congés payés a marqué le point de départ d’une nouvelle forme de tourisme. Le tourisme de masse ou sur-tourisme, est né. Ce mode de tourisme, qui suppose des coûts de vacances toujours plus bas, a pour principal objectif de donner la possibilité au plus grand nombre de connaitre le départ en vacances. Cela a été rendu possible grâce à de nombreux moyens dont la multiplication des moyens de transports. En effet, la croissance du low cost a été un facteur clé, notamment pour les transports aériens. Ce phénomène a permis de faire évoluer le nombre de vols à bas prix. Et donc de faire de l’avion un moyen de transport privilégié par les touristes, transportant actuellement un tiers des passagers dans le monde.

Outre les transports, la multiplication des logements touristiques, notamment via les plateformes tel que Airbnb, a rendu leur accès plus facile et moins cher.

Un troisième facteur a révolutionné le tourisme en le démocratisant à grande échelle. Il s’agit d’internet. En effet, c’est cet outil qui, par la mise à disposition de la réservation en ligne, la comparaison des offres, l’échanges d’informations et autres possibilités, a grandement participé à la massification des flux. Internet a également amené les réseaux sociaux, un élément devenu aujourd’hui crucial dans le tourisme. Ce sont les réseaux qui nous connectent avec le monde lorsque nous voyageons, qui montrent aux gens ce que nous faisons, ce que nous découvrons et leur donne ensuite à leur tour l’envie de venir découvrir cette destination. Ainsi, l’instagrammabilité des espaces est devenue un facteur précieux du développement de certains lieux.

Cependant, avec le développement de tout ces moyens, les déplacements de personnes à travers le monde ont augmenté de façon spectaculaire. En effet, l’OMT a recensé 1.3 milliard de touristes internationaux en 2017, soit une hausse de 7% par rapport à 2016. Cette évolution inédite témoigne d’un secteur dont l’évolution ne cesse de croitre. Les spécialistes prévoient 1.8 milliard de touristes en 2030.

L’inégale répartition des flux touristiques

Le problème n’est pas que nous voyageons trop, mais plutôt comment nous voyageons. Nous rêvons tous de partir découvrir les îles paradisiaques de la Thaïlande, prendre une photo en haut de la Tour Eiffel, ou grimper l’Everest. Au fond, nous souhaitons faire partie de toutes ces personnes ayant foulé ces endroits célèbres et dire « j’y suis allé(e) ». Mais peut-être que l’erreur est là… Vouloir aller dans des endroits que tout le monde connaît déjà, au lieu d’aller découvrir de nouveaux lieux encore méconnus de tous. Selon l’OMT, 95% des touristes mondiaux se concentrent sur moins de 5% des terres émergées. Par conséquent, alors que de nombreuses destinations croulent sous le sur-tourisme, d’autres peinent à attirer quelques visiteurs. Par conséquent, les destinations où la fréquentation touristique est démesurée constatent l’évolution de nombreux impacts négatifs au niveau social, esthétique et environnemental.

Les conséquences d’un modèle de surconsommation

Lorsque nous voyageons, nous ne nous en rendons pas forcément compte, mais nous laissons une trace. C’est cette trace, multipliée à des milliers d’autres, qui finit par devenir un impact plus ou moins important.

Les conséquences environnementales

Ainsi, le premier impact du sur-tourisme est la pollution environnementale. En effet, il est responsable de 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit 3.9 milliards de tonnes de CO2 chaque année.

Outre l’empreinte carbone, le tourisme de masse est aussi responsable de la mise en danger d’animaux sauvages. En effet, beaucoup d’animaux sauvages sont capturés et maltraités pour être utilisés à des fins touristiques (selfies avec animaux sauvages ou promenades à dos d’éléphants…).

Une autre conséquence du sur-tourisme est la production massive de déchets. Cette dernière se comptabilise à 35 millions de tonnes par an. Cette pollution, principalement concentrée sur les littoraux, s’avère être très nocive pour l’environnement. Par conséquent, selon le WWF, à l’échelle mondiale, ce sont environ 700 espèces marines qui sont menacées par le plastique.

Le littoral est également très affecté par la bétonisation, un énième impact directement lié au tourisme de masse. Ainsi, l’Espagne, un des pays les plus touchés par ce phénomène, a un taux de bétonisation qui dépasse les 90% par endroit.

Les conséquences sociales

L’impact environnemental lié à nos déplacements pour nous rendre sur la destination est très important, mais l’impact social lié à notre séjour sur place l’est tout autant. En effet, de nombreux phénomènes liés au tourisme de masse impactent les sociétés et particulièrement les locaux. Parmi eux, on trouve la gentrification et la muséification des villes. La multiplication des logements touristiques dans les grandes villes amplifient ces deux phénomènes, notamment via les plateformes de logements comme Airbnb. Par conséquent, nombre d’entres elles, tel que Venise, ne cessent de se vider de leurs habitants.

Un autre phénomène impactant diverses sociétés s’est également développé avec le sur-tourisme. Il s’agit de la folklorisation, soit la mise en place d’une véritable mise en scène qui est jouée aux touristes afin de répondre à leur recherche d’authenticité. Cette dernière impose donc à des populations locales à revenir à des traditions qui ne sont plus les leurs, dans l’espoir d’un enrichissement améliorant leur qualité de vie. Cependant, la plupart du temps, les retombées de cette activité touristique ne vont même pas aux populations locales en question.

La crise du tourisme

Ces phénomènes sociaux parmi tant d’autres ont provoqué un agacement généralisé des locaux. Ainsi, se développent des messages tourismophobes partout dans les grandes villes européennes. On peut y lire : « touristes rentrez chez vous », « le tourisme tue les quartiers » … De plus, de nombreuses manifestations encourageant les touristes à rentrer chez eux ont éclaté dans diverses grandes villes comme Venise ou Barcelone. En 2018, ce mouvement a pris de l’ampleur avec une évolution relativement agressive. Le plus important ayant été l’attaque d’un bus touristique à Barcelone où un groupe d’individus à crever les pneus du bus et taguer « le tourisme tue les quartiers ».

Le numerus clausus, unique solution ?

Et si je vous dis qu’un jour vous devrez réserver votre place sur la plage, vous enregistrer sur un registre et passer par une longue liste d’attente avant d’aller dans la ville de vos rêves ? Pas très joyeux, non ?

La solution du numerus clausus

Rassurez-vous, ce n’est pas le cas… du moins pas encore. Mais en effet, les grandes destinations commencent à s’organiser et à mettre en place des moyens afin d’endiguer les conséquences de la trop forte concentration de touristes sur leurs sites. Une des solutions… Le numerus clausus.

Il s’agit d’une technique mise en place par l’imposition d’un quota de visiteurs à l’année, à la journée, sur un site touristique ou même dans une ville. La mise en oeuvre diffère selon les lieux. Il peut s’agir de bloquer le site lorsque le remplissage de ce dernier arrive à la limite autorisée. Ou bien la mise en place d’un système de réservations. La limitation des flux est souvent une méthode utilisée en derniers recours. Néanmoins, elle est adoptée par de plus en plus de destinations.

Quelques exemples d’application

L’Antarctique, où il a été décrété qu’il est interdit d’accoster aux bateaux transportant plus de 500 personnes. Le nombre de personnes présentes simultanément est limité à 100 par site, pendant 3 heures maximum.

The Wave, vague de grès ocre très fragile située dans les Vermilion Cliffs, aux Etats-Unis. Un système de tirage au sort a été mis en place pour limiter le nombre de visiteurs à vingt par jour. Le ticket de loterie coûte 10 dollars et n’est pas remboursable.

Maya Bay en Thaïlande. Les dégâts étaient tellement importants que le gouvernement a décidé de totalement fermer l’accès au site. Et ce, pour une durée indéterminée afin que la faune et la flore se reconstituent.

Il ne s’agit là que d’un échantillon d’exemples démontrant l’instauration d’un numerus clausus dans diverses destinations autour du monde. La liste est encore très longue et s’allongera sûrement dans les années qui viennent. Mais, avant d’en arriver là, de nombreuses stratégies, autre que la limitation, sont pensées et mises en place dans différents pays.

Réguler plutôt que limiter ?

Afin de ne pas en arriver à l’imposition d’un quota, de nombreuses destinations mettent en place différents moyens permettant de lisser la fréquentation. Quels sont-ils ?

Ajuster les prix

L’ajustement des prix pour équilibrer l’offre et la demande et s’adapter au public qu’on vise.

Néanmoins, même si augmenter les prix peut être un bon moyen de réguler le nombre de touristes, il faut faire attention car si les prix sont trop élevés, cela pourrait également être une barrière pour les locaux qui n’aurait donc pas les moyens de faire du tourisme sur leur propre territoire et découvrir leur patrimoine.

Ainsi, le Bhoutan en est un exemple. Il a développé un tourisme de luxe en pratiquant des prix élevés. Ainsi, le gouvernement a instauré des taxes journalières entre 165 et 250 dollars, sauf pour les indiens, Bangladais et Maldiviens. Cela lui permet de ne pas dépasser les capacités d’accueil du pays.

Réguler l’offre

La régulation de l’offre de logements touristiques est également un bon moyen de réguler le nombre de touristes sur une destination. Cela permet aussi de lutter contre la hausse des prix de l’immobilier et la raréfaction des logements pour les locaux. Cette régulation se fait sous forme de réglementations, principalement à l’encontre des plateformes comme Airbnb.

Paris est le premier marché mondial d’Airbnb avec 60 000 logements à louer. La ville a imposé aux hébergeur l’obligation de demander un numéro d’enregistrement à la ville. Elle interdit aussi de louer un logement plus de 120 jours par an. Louer sa résidence secondaire est également interdit. La mairie de Paris a également créé des postes d’agents de contrôle. Ils sont en charge de vérifier que cette nouvelle règlementation soit respectée.

Mieux travailler ensemble

Il ne s’agit là aussi que de quelques exemples parmi beaucoup d’autres. Même si ces mesures diffèrent selon les destinations, les objectifs restent les mêmes. Elles ont toutes vocation à lisser la fréquentation pour en diminuer les différents impacts. Néanmoins, toutes ces mesures restent encore très difficiles à mettre en place. Il reste encore beaucoup de travail afin que tous les acteurs du tourisme collaborent ensemble à une meilleure mise en tourisme des sites.

Aller plus loin…

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Une note réalisée par Laura Barbe, étudiante AGEST, dans le cadre de son master à l’Université Bordeaux Montaigne

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